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La Cité des Cieux, monde des îles et des bateaux volants...
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6 octobre 2008

Chapitre 60, par Maranwë - Où on flashbackise

Cinq ans auparavant, sur l'île de Vittani
Là où d'autres îles auraient pu être renommées pour un monument historique, un joli paysage à l'automne ou pour avoir été temporairement le lieu de séjour d'un homme devenu célèbre après sa mort, Vittani s'était fait connaître comme étant la plus grosse décharge à ciel ouvert de ce coin de ciel.
Quelques dirigeants compatissants essayaient de faire changer les choses sur ce bout de terre flottant, mais le mal était déjà fait, les humains se revendaient sur le marché au même prix qu'une barque céleste, la plupart des "maisons" (si la postérité convient de les appeler ainsi) construites à la va-vite tombaient en décrépitude avancée, et quelques natifs plus opportunistes que les autres se servaient des enfants des rues pour faire les poches aux gens de passage.
Ils avaient solennellement appelé leur combine "la Guilde", et recrutaient tous ceux qui semblaient assez habiles à la tire ou assez innocents pour divertir les passants pendant que leurs camarades s'attelaient à leur besogne.
Sumire Himana appartenait à la deuxième catégorie.
Non pas que cette adolescente avait trop de scrupules pour délester les plus ou moins honnêtes gens de leur argent, mais son physique lui donnait à attirer l'oeil plus qu'à se fondre dans la masse. De longs cheveux rouges, de grands yeux verts, la silhouette fine et le sourire angélique : tout aurait pu aller pour le mieux si elle avait eu un peu plus de logique.
En effet, Sumire faisait partie des rares voleurs qui s'acclament eux-même lorsqu'ils accomplissent leur besogne, et si elle développa au fil des années un certain talent pour la fuite à toutes jambes, elle n'en restait pas moins l'opposé exact de la discrétion, et nombre de marchands avaient finalement entendu parler d'une rouquine qui portait malheur.
- Sumire, par pitié, ne lève pas les bras au ciel quand je viens de détacher une bourse, grogna un adolescent aux cheveux blonds ébouriffés.
- Désolée, répondit cette dernière, qui n'avait pas l'air désolée le moins du monde. Pas pu m'en empêcher.
- C'est pas ta soeur, là-bas ? demanda soudain son compagnon, l'air inquiet.
- Euh...
- Sumire, ne me dis pas que tu traînes encore avec les gens de la guilde ? demanda du bout de la rue une voix pleine de reproches.
- C'est pas de ma faute si je ne travaille pas aussi bien que Mademoiselle Nahalys, rétorqua Sumire.
- Et tu t'imagines peut-être que tu vas vivre toute ta vie en séduisant les passants pendant que tes copains les volent ? répliqua Nahalys, une jeune fille à peine plus âgée, aux longs cheveux châtains.
- Je pourrais aussi me trouver un riche marchand et l'épouser, répondit rêveusement Sumire.
- Si tu veux, répondit Nahalys en levant les yeux au ciel. En attendant, tu rentres avec moi. Maman ne va pas bien.
Sans un mot de plus, Sumire se mit à courir pour rattraper sa soeur, qui disparaissait derrière une ruelle, laissant derrière elle son compagnon visiblement soulagé.
Quelques minutes plus tard, Nahalys poussait la porte d'une petite maison, se retrouvant nez à nez avec un homme d'une quarantaine d'années portant redingote et chapeau rond. Derrière lui suivait le vieux Denz, qui comme à l'accoutumée était venu apporter du pain à la famille Himana. Il fit un sourire et un signe de tête aux deux soeurs, avant de repartir dans les ruelles.
- Comment va-t-elle, docteur ? demanda Nahalys après avoir fait un signe de la main à Denz.
- Mieux, mais seulement pour l'instant, répondit ce dernier d'un air sombre. Je l'ai mise sous somnifères, je repasserai dans la soirée. En attendant, tu sais quoi faire si besoin. Oh, bonjour, Sumire.
- Bonjour, docteur Daine, répondit cette dernière.
Le docteur parti, les deux soeurs entrèrent dans la maison et refermèrent la porte derrière elles.
- Nahalys, tu vas la soigner ?
- Le docteur Daine a dit qu'il allait revenir, ne t'inquiète pas, répondit gentiment Nahalys.
- Mais pourquoi tu lis ces livres toute la journée, alors ? demanda Sumire d'un air étonné en désignant une pile de livres de médecine. Tu veux pas être docteur ?
Nahalys se contenta de sourire à sa petite soeur, et feuilleta l'un de ses livres une énième fois dans l'espoir d'y découvrir la description des symptômes que présentait sa mère.
Leur père, marin disparu au cours d'une tempête qui ravagea son navire d'attache, n'était pas revenu depuis bien des années, et leur mère avait tant bien que mal essayé de faire face à la vie accompagnée de ses deux enfants, mais elle présentait depuis quelques mois une étrange maladie qui ne faisait qu'empirer.
Elle, que ses filles avaient connue si forte, dépérissait à vue d'oeil : ses joues se creusaient au fil des jours, son teint devenait d'un blanc maladif, elle était sans cesse terrassée par la fatigue et se plaignait régulièrement de maux de ventre. Et par-dessus tout, il y avait ces cauchemars qui la tourmentaient toutes les nuits.
Nahalys, la plus âgée des deux, avait toujours été passionnée par la nature et avait entrepris toute jeune de dénommer toutes les herbes qu'on trouvait sur l'île, avant de s'attaquer aux plantes médicinales sur un livre emprunté au médecin de la famille.
Lorsque la fillette avait été très fière de lui réciter la liste des plantes de son livre et chaque maladie qu'elles pouvaient guérir, le docteur Daine lui avait proposé de l'instruire davantage sur le métier de médecin. En contrepartie elle viendrait faire le ménage chaque semaine chez lui et tenir compagnie à sa fille Sawin, une fillette du même âge.
Sawin et Nahalys étaient bonnes amies malgré leur différence de caractère et de milieu social, et Nahalys ne fut guère étonnée de la voir passer la porte pour prendre des nouvelles de sa mère.
- Bonjour tout le monde, déclara gentiment Sawin, une jeune fille aux cheveux noirs, alors qu'elle rentrait dans la maisonnette.
- Bonjour Sawin ! répondirent en choeur les soeurs Himana.
- J'ai croisé mon père en arrivant, dit soudain Sawin à l'attention de Nahalys. Comment va-t-elle ?
- Pas terrible, répondit sombrement Nahalys. Je suis allée chercher Sumire, au cas où.
- Au cas où quoi ? demanda Sumire d'un air étonné.
Nahalys ne répondit pas et jeta un coup d'oeil dans la direction de sa mère, allongée sur une couchette au fond de la maison. Finalement, elle se leva, et dit :
- Sumire, je peux te confier maman ? Je voudrais vérifier quelque chose.
Sumire fit la moue, mais hocha vivement la tête pendant que sa soeur, accompagnée de Sawin, passait la porte. Toutefois, il ne passa pas dix minutes avant qu'elle ne dépose un baiser sur le front de sa mère, et sorte prudemment de la maison pour faire quelque chose "de très très important". La jeune fille bifurqua derrière sa maison, marcha quelques minutes et sifflota en tapant sur le sol une fois qu'elle fut totalement seule. Quelques instants plus tard, un écureuil volant sautait d'un arbre pour aterrir sur son épaule.

- Je ne sais pas ce que tu veux vérifier, Nahalys, déclara Sawin alors qu'elle marchait à côté d'elle. On a regardé dans tous les livres.
- Il y a une pièce chez ton père, répondit Nahalys. Peut-être qu'il y a d'autres livres, là-bas.
- Nahalys ! s'exclama Sawin. On ne peut pas y rentrer, tu le sais !
- Je sais, répondit-elle. Je n'ai même pas le droit d'y faire le ménage. Mais peut-être que...
Malgré les protestations de son amie, les deux jeunes filles firent précautionneusement le tour de la maison pour rentrer par la petite porte qui donnait sur la cuisine, et s'engouffrèrent à pas de loup dans la maison du médecin.
- Nahalyyys !
- Je ne t'ai jamais obligée à venir, Sawin, chuchota-t-elle.
Nahalys était femme de ménage, et comme toute femme de ménage, elle savait exactement où était rangé le trousseau de clés de la maison. Après avoir fouillé dans un placard, elle en ressortit victorieusement un gros ensemble de clés anciennes accrochées ensemble par un anneau de métal, et les passa toutes en revue avant de s'arrêter sur une petite aux reflets cuivrés.
- Nahalys, s'il-te-plaît...
- Chut ! On y est presque.
Nahalys tourna la clé dans une serrure qu'elle avait toujours connue fermée, et inspira à fond lorsqu'elle entendit le cliquetis caractéristique. Un grincement lorsqu'elle poussa la porte lui indiqua qu'elle était ouverte, et elle entra, Sawin à sa suite, une fois qu'elle eût allumé la bougie disposée sur une table à l'entrée de la pièce. Derrière elles, son amie referma précautionneusement la porte.
Sans surprise, la pièce était mal rangée et regorgeait de livres ouverts et de papiers disposés ça et là, à la grande joie de Nahalys. Mais ce qu'elle ne comprit pas, c'était tout cet amoncellement de fioles et d'alambic dans lesquels mijotaient des liquides aux couleurs indéfinissables, et cette collection de bocaux remplis d'animaux et de plantes, vivants ou formollisés, sur les étagères. Sawin qui connaissait aussi des rudiments de médecine, et cette vue sordide faisait battre son sang si fort à ses tympans qu'elle se plaqua les mains sur les oreilles, muette de stupeur et d'horreur. Nombre d'araignées, de serpents et d'insectes exotiques vrillaient dans leurs bocaux et tapaient sur les parois pour en sortir.
Nahalys, la gorge nouée, s'approcha de la table au centre de la petite pièce : des dizaines de feuilles de notes traînaient là, et elle en commença la lecture à voix haute sous la lueur de la bougie.
- Test d'extraction bocal numéro trente-huit, échec. Test d'extraction bocal numéro trente-neuf, succès.
- C'est cette énorme araignée, là ? Il y a marqué "Provenance : Pagala" dessus...
- Dilution du venin extrait du bocal numéro trente-huit dans l'eau et isolement de la substance toxique. Neuf sujets décédés sur dix après injection. Dixième sujet très affaibli.
- Des sujets ? répéta Sawin, l'air horrifié.
- Tu entends ces petits bruits ? On dirait...
Sawin souleva une bâche, et recula en mettant sa main sur sa bouche. Des dizaines de cages minuscules empilées les unes sur les autres grouillaient de souris de tailles diverses. Nahalys déglutit.
- Qu'est-ce que ça veut dire ? dit-elle soudain.
- Regarde ça ! s'exclama Sawin en désignant un alambic.
Une mixture verte, pâteuse, y reposait, et sur l'alambic était tracé à la craie la lettre A.
- A, c'est pour quoi, à ton avis ? demanda Sawin.
Nahalys s'était à nouveau plongée dans les notes du docteur, et son visage se raidissait au fur et à mesure qu'elle avançait dans sa lecture.
- Sawin, si je te parle de maux de ventre, de fièvre et de troubles du sommeil, ça t'évoque quoi ?
- Ta mère ?
- Ce sont les symptômes des souris à qui on injecte le produit A fortement dilué, répondit Nahalys d'une voix blanche.
Sawin ouvrit la bouche et écarquilla les yeux sans un mot, puis se rua sur le papier que tenait la main tremblante de Nahalys. Cette dernière s'effondra, livide, sur la chaise, et n'entendit même pas la porte grincer derrière elle.
- Que... Qu'est-ce que vous faites là, vous deux ? s'exclama le docteur Daine dans l'encadrement de la porte. Je vous avais formellement interdit de venir ici !
- Père, ne me dis pas que c'est toi qui ... ? demanda Sawin d'une toute petite voix.
Le docteur resta muet de stupeur un instant, puis entrevit le visage de Nahalys, et lâcha :
- Au début, je n'étais sencé que travailler sur le venin d'un animal que nos "ennemis" pouvaient utiliser contre nous, et ses effets sur les humains. Mais quand j'ai commencé à leur communiquer les résultats de mes travaux, ils ont fait pression sur moi. Ils ont menacé de faire du mal à Sawin... Et puis je me suis rendu compte que les gens autour de moi ont commencé à tomber malades.
Suite au silence de Sawin et Nahalys, il poursuivit :
- Ta mère n'est pas la seule, Nahalys. Ils ont empoisonné une partie des fontaines, et pour une raison que j'ignore encore, seuls des adultes sont tombés malades. Alors j'ai continué mes recherches dans l'espoir de fabriquer l'antidote à ce poison que j'ai moi-même créé...
- C'est qui, ils ? demanda Nahalys, d'une voix où pointaient la colère et l'incompréhension.
- Un gouvernement peut-être, des gens puissants, répondit le médecin. C'est eux qui ont commandé mes travaux, et qui aujourd'hui me menacent. Ecoute-moi, Nahalys... je te confie mes notes. Ils ne doivent pas les avoir. Cache-les, précieusement, s'il devait m'arriver quelque chose.
- Mais... Et l'antidote ? demanda Sawin.
- J'ai bonne mémoire, ma fille, répondit le médecin en souriant. Je me souviens parfaitement de mes recherches. Maintenant, Nahalys, file chez toi. Je te promets que je ferai tout ce qui en mon pouvoir pour sauver ta mère.
De son côté, Sumire flânait dans les rues commerçantes, le nez en l'air et son écureuil apprivoisé sur l'épaule. Une femme aux cheveux noirs, richement habillée et suivie d'un homme au nez de corbeau, l'accosta soudain, et lui dit :
- Bonjour, jeune fille. Tu fais partie de la Guilde, si mes renseignements sont exacts.
- Et comment vous savez ça, vous ? s'étonna Sumire.
- On m'a parlé d'une jeune fille rousse, répondit la femme. Et on me dit que la Guilde sait tout sur tout sur cette île, est-ce vrai ?
- C'est vrai, s'enorgueillit Sumire.
- Comment t'appelles-tu ?
- Sumire Himana.
- Sumire, sais-tu aussi où habite le docteur Daine ? demanda la femme.
- Bien sûr, la maison au bout de cette rue. Ma soeur est son apprentie, je le connais bien !
- Ah, ta soeur... fit la femme avec une voix étrange. Comment s'appelle-t-elle ?
- Nahalys.
- Sumire, j'ai une proposition à te faire, déclara la femme. Je te promets une belle récompense si tu m'emmènes jusqu'au siège de la Guilde, j'aimerais vraiment rencontrer tes chefs...
- Madame, ce n'est pas prudent, chuchota l'homme à son oreille.
- Suffit, Aziz, siffla-t-elle aussi bas. Je ne la crois pas assez futée pour comprendre ce qui l'attend.
Et, d'une vois plus haute et posée, elle déclara :
- Alors, qu'en dis-tu, Sumire ?
Nul ne sait ce qui s'est réellement passé après ceci, puisque tout fut désigné comme "opération de sûreté d'Etat" sans autre forme de procès. Sumire, naïve, avait cru qu'elle avait en face d'elle une admiratrice de la Guilde, mais la femme était en réalité au service d'une puissance qui entendait que les voleurs n'avaient pas leur place en ce monde. Une fois qu'elle avait su où se trouvaient la plupart des membres de la Guilde, la garde royale avait effectué une rafle, et les avait exécutés sur la place publique quelques jours plus tard. Le docteur Daine fut arrêté par la même garde et emprisonné, mais il refusa jusqu'au bout de livrer le secret de ses travaux lorsqu'ils découvrirent que toutes les preuves avaient disparu. Soupçonnant que son apprentie, Nahalys Himana, connaissait elle aussi le secret de ces travaux, ils la traquèrent à son tour.
Sumire, recherchée puisque faisant partie de la Guilde, s'était enfuie de l'île avec l'aide de Denz. Mais Sawin, avant que les autres n'aient pu trouver Nahalys, se présenta spontanément à la porte du gouvernement sous l'identité de cette dernière. Nahalys ne l'avait plus jamais revue.
Sumire disparue, et Sawin probablement morte pour la sauver, Nahalys n'était restée sur Vittani que pour prendre soin de sa mère, et l'enterra l'hiver suivant le coeur en lambeaux.
Lorsque Dralan Helard l'avait trouvée devant sa maison en flammes et la retint au moment où elle allait se jeter dans le feu, Nahalys se présenta sous l'identité de l'amie qui s'était sacrifiée pour elle. Elle était ensuite allée jusqu'à prendre son apparence pour perpétuer son souvenir, portant ses lunettes, se coupant les cheveux et les teignant en noir, et était devenue un excellent médecin, la Sawin Daine que tous connaissaient à présent.
Aujourd'hui, cinq ans plus tard, découvrant Sumire à genoux et en larmes devant les décombres de leur maison, Nahalys devenue Sawin s'avança vers Sumire et la prit dans ses bras sous les yeux ébahis de Ludolf.
- Je savais que c'était ta faute, mais je t'ai laissé le bénéfice du doute quand nous t'avons retrouvée, dit-elle à sa petite soeur. Maintenant je sais que tu n'avais jamais voulu tout ça.
- Nahalys ? demanda Sumire.
- Maintenant, c'est Sawin, répondit cette dernière. Tu ne t'es jamais demandée pourquoi j'ai tant insisté pour que tu viennes avec nous quand nous t'avons retrouvée sur ton île déserte ?
Les deux soeurs s'étreignirent et pleurèrent dans les bras l'une de l'autre pendant quelques minutes, où Ludolf crut bon de s'éclipser et de courir à toutes jambes vers les autres pour leur raconter ce qui venait de se passer. Denz avait entendu l'histoire de la bouche du docteur Daine lorsqu'il était venu lui rendre visite peu de temps avant sa mort, et sa bouche se fendit d'un large sourire quand il sut que Sumire avait l'air de se rappeler ce qu'il se passait.
- Maman est... Maman...
- Elle est partie pendant son sommeil, Sumire, murmura Sawin.
- Je ne voulais pas, je te jure ! C'est pas... ma faute...
- N'en parlons plus, d'accord ? insista Sawin en la secouant par les épaules et en essuyant une larme. Allez, viens, allons retrouver les autres.
- C'est drôle, ça.
- Quoi donc ?
- Je vais devenir la belle-soeur du Capitaine, murmura Sumire avec un grand sourire.

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