Chapitre 38, par Seth - Où on joue "Resident in the upstairs of Evil"
Si la peur avait eu un visage il aurait sans doute ressemblé à celui de
Boumie, sautant du mat à la vue du galion mystérieux qui voguait au
milieu des brumes épaisses. Bien que la tempête continue de faire rage,
le navire ne semblait pas soumis aux affres des courants d'air. Il
flottait, imperturbable comme un funambule au milieu de son fil. Le
capitaine envoya Abby chercher Glendal qui arriva tout essoufflé sur le
pont supérieur, suivi d'un David interdit et d'une Edele poussiéreuse à
force d'avoir traîna à quatre pattes dans la cale pour fixer la
cargaison. Cette dernière, les yeux rivés sur la mystérieuse
embarcation tenait sa poêle en l'air, comme prête à être abattue sur un
ennemi invisible. Toutefois, l'instrument déjà cruellement cabossé
entra très rapidement en contact avec le crâne de David quand ce
dernier fit remarquer qu'une poêle à la main sous un orage, ça risquait
d'attirer la foudre.
Soudain, comme par la volonté d'un Dieu marin particulièrement taquin,
le vent et la pluie s'arrêtèrent. L'Arcadia s'immobilisa à quelques
mètres de la poupe du ténébreux Galion. Sur son ventre des lettres
d'or, rongées et noircies par les intempéries laissaient apparaître les
mots « LE SCEPTIQUE ». Son bois pourri par endroit et les grognements
languissants qui s'échappaient de ses entrailles n'engageaient pas à la
témérité. Ses voiles déchirées clapotaient doucement malgré l'absence
de toute brise. La mélodie que l'équipage de l'Arcadia avait entendue
provenait en réalité des canonnières moisies par lesquels s'échappaient
des vrombissements diffus aux accents fluttés.
Tous désormais réunis sur le pont, les membres de l'Arcadia observaient
le spectacle dans un silence de mort. Même l'araignée d'Abby se
recroquevilla derrière une écoutille en une petite masse poilue toute
tremblotante.
Sawin et Dralan furent les premiers à se regarder d'un air dubitatif,
puis sur un signe de tête commun, partirent ensemble vers les cabines,
traînant derrière eux un Glendal paralysé, droit comme un piquet et
dont les bottines laissaient deux longues traces noires tout le long du
pont.
- Mais où vont-ils ? se risqua Abby en ravalant sa salive.
- S'ils pouvaient me ramener mon canon sonique de 9, murmura Devon, ce
serait gentil de leur part. J'ai l'impression que mes jambes sont
collées au sol.
- Pis, quelle pu'ée de pois, grogna Boumie, ça 'essemble un peu à la mousse de légume que nous à p'épa'é Edele un jou'.
- Si ma poêle n'était pas restée encastrée dans le crâne de David,
saches que c'est toi qui aurais finit en purée, gros babouin, grogna
Edele sans regarder la vigie.
- Ta poêle va très bien, poursuivit David, c'est ton bras qui reste bloqué... Hai...
Hum Hum
kYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYAAAAAAAAAAH
Tout l'équipage resté sur le pont en l'absence du capitaine et de sa
seconde sursauta comme un seul homme quand ces deux derniers revinrent
à pas de loup, les bras chargés de harpons rouillés.
- Qu'avez-vous fait pendant tout ce temps, s'enquit Ludolf encore sous le choc... à moins que cela ne soit trop indisc...
- Monsieur Ludolf ! le coupa violement le capitaine en déclanchant une
seconde fois des cris de frayeurs, si vous ne souhaitez pas que je vous
nomme Sumire par intérim vous devriez faire attention à vos propos.
- Mais capitaine pourquoi ne pas continuer notre route ? proposa timidement<Abby en caressant son arachnoïde tétanisée.
- Parce que si ce bateau est en effet LE SCEPTIQUE, il ne servira à rien de fuir. Voyez vous, ce bateau est en réalité...
- J'AI UNE IDEE ! hurla Boumie en déclenchant de nouvelles exclamations.
La peau de la vigie avait prit une teinte bleue et ses yeux roulaient étrangement dans leur orbite.
- Comment ça ? demanda Sawin, perplexe.
- Cont'e ce bateau, reprit la vigie, ce dont on au'ait besoin ce se'ait...
- Oui ? l'encouragea la seconde de l'Arcadia, intriguée.
- ...UN ANTI-SCEPTIQUE !
Cette fois-ci, le sang et la poêle d'Edele ne firent qu'un tour et la
grosse vigie s'affala en ronflant sur le bois humide du navire.
- Maintenez vos humeurs je vous prie, et écoutez attentivement ce que
je vais vous dire, repris le capitaine d'une voix étonnement douce. Il
y a de cela ne nombreuses années voguait en ces cieux un pirate
extrêmement puissant. Sa flotte se composait de plus de 50 navires. Ses
hommes étaient réputés pour être les plus habilles navigateurs et les
plus grands pilleurs de tous les temps. Quand se hissait leur pavillon
noir sur lequel étaient brodé deux dragons en fils rouge sang, les
navires abordés abandonnaient leur cargaison sans même combattre. Leur
fortune colossale remplissait parait-il la plus grande caverne des îles
de la pointe de l'Est. Les quelques hommes courageux qui avaient eus la
chance de survivre à un combat contre ces pirates en perdaient bien
souvent la voix et la raison. Mais un jour, à la suite d'un mystérieux
événement, il ne subsista plus aucune trace de la grandiose flotte.
D'après certains témoins, on peut parfois voir apparaître à l'horizon
les soirs d'orage, les voiles majestueuses et noires du navire amiral
de la flotte. Celui-ci a pour nom LE SCEPTIQUE.
kYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYAAAAAAAAAAH
- Oui, je sais monsieur Ludolf, cela peut être effrayant, surtout pour un non marin comme vous.
- Ce... ce n'est pas ça capitaine, Boumie vient de me marcher sur le pied en se relevant !
- Capitaine...
Dralan Helard se retourna vers Sawin qui le regardait intensément, le
visage fermé mais étonnement doux. Le maître du navire poussa un léger
soupire et sourit gentiment à sa seconde.
- Vous avez raison Sawin, je pense que je n'ai pas le choix.
Les membres de l'équipage se regardèrent, interrogateurs, puis se
focalisèrent sur le capitaine qui se retourna élégamment vers le bateau
fantôme, sa longue cape virevoltant dans son sillage.
- Ce pirate, vous le connaissez peut être sous le nom de « Sea Roy », moi je le connais sou le nom de Royald Helard.
- Vous voulez dire qu'il s'agit de...
- Oui, David, il s'agit de mon grand père.
Une fois de plus, et plus précisément pour la troisième fois
consécutive, les lourds grappins de métal refusèrent de pénétrer la
coque du SCEPTIQUE. Le bois du bateau semblait mettre tout son cœur à
refuser que l'on s'accroche à lui. Comme aimait le faire remarquer
Ludolf, il était très difficile de lui mettre le grappin dessus...
Après les quelques minutes de silence suivant la déclaration du
capitaine (dont l'effet dramatique aurait pu durer plusieurs heures si
le dragon de Devon, passablement enrhumé, n'avais pas accidentellement
mis le feu à la cape de Dralan Helard dans un malencontreux
éternuement), un groupe d'exploration avait été monté afin de visiter
le bateau fantôme. Composé du capitaine, de sa seconde, de David, de
Devon et de Ludolf, l'équipe tentait de trouver une solution afin
d'aborder leur objectif. Mais en vain... alors que le capitaine (qui
avait revêtu une cape neuve) et Devon discutaient d'un plan possible
nécessitant trois canons, cinq cordes, deux pièces en argent, six
litres de café, trois grenouilles, des coquelicots sauvages et une
descente de lit en macramé, une voix familière tonna comme une grosse
caisse sur le pont inférieur de l'Arcadia :
- Où est mon fainéant de fils ? Enco'e en t'ain de se cacher au sommet de son pe'choi'e ?
- Ah chère madame Longvue ! lança le capitaine en se redressant. Vos blessures ont l'air d'aller beaucoup mieux !
- Oui, c'est g'ace au longs ent'ainements que j'ai menés pou' sculpter mon co'ps de 'êve.
- Peut-être aussi grâce aux soins que je vous ais apportés ! se renfrogna Sawin, vexée.
- Peut-êt'e bien que ça a un peu aider, admit la grosse femme en se
hissant sur le pont supérieur à la force de ses bras ? C'est quoi cette
ho''eu'e ?
- Probablement le bateau du grand-père de notre capitaine, murmura timidement David.
- Quels goûts de me'de, 'appeler moi de ne jamais lui demander l'ad'esse de son déco'ateu'.
- Etant donné qu'il est probablement mort, répondit Sawin se crispant
en voyant le capitaine rire aux éclats, il y à peu de chance que vous
le rencontriez un jour
- Pas étonnant, grommela Arabela Longvue en acceptant le baise main de
Dralan. Et qu'est-ce que vous fichez avec ces cu'e dents ?
poursuivit-elle en pointant du doigt un des harpons que Ludolf
décochait de nouveau vers LE SCEPTIQUE.
- On essaye de s'accrocher m'dame, répondit Devon en essayant lui-même une fois de plus.
- C'est pas comme ça que vous y a''ive'ez sac de nœud de gelée de poiscaille, laissez moi fai'e !
Sur ces mots, Madame Longvue saisit un arpons à bout de bras, le sortit
de son lanceur, attrapa la corde qui le retenait et le fit tourner si
vite au dessus de sa tête que sa masse gigantesque décolla de quelques
centimètre au dessus du sol.
Puis elle lâcha la corde. Le harpons partit malencontreusement dans le
sens opposé de sa cible, rebondit avec un bruit sourd que la casserole
d'une Edele qui venait aux nouvelles et se dirigea tout droit vers le
sommet du mat de l'Arcadia. Un cri déchirant retentit alors.
- ELLE M'A ENVOYE CE T'UC EN PLEIN DANS LE C...
- 'envois le moi au lieu de beugler espèce de ca'pette à pattes !
Aussitôt dit, aussitôt fait. Boumie renvoya la harpon si fort qu'il
traversa d'un trait tout l'Arcadia, arracha la moitié du bastingage
avant et se planta proprement dans la coque du SCEPTIQUE.
- Parfait ! s'enthousiasma le capitaine. Votre technique de motivation
fonctionne à merveille ! Je devrais peut être moi-même employer
quelques unes de vos recettes miracles.
- Vous me faites 'ougi' capitaine Hela'd.
- On peut y aller maintenant ? coupa net Sawin.
- Je n'ai plus trop envie maintenant, chuchota David en déglutissant
bruyamment, j'ai comme l'impression que... que le bateau n'apprécie pas
notre action de force. Je ressens comme une vague de froid dans mon dos.
- Moi aussi, confirma Ludolf en reculant de quelques pas.
- Messieurs, annonça le capitaine, il est temps pour vous d'affronter
vos angoisses et de montrer que vous êtes des hommes, excepté Sawin
bien entendu, qui elle est une femme.
- Je viens aussi ! s'enthousiasma Arabela Longvue en sautillant sur
place (ce qui eut pour effet de faire plonger l'Arcadia de plusieurs
mètres). J'ai besoin de me dégou'di'e les jambes.
- C'est d'accord, accorda le capitaine. Mais n'oubliez pas, seul le
diable sait ce qui nous attend une fois passé de l'autre côté.
Tandis que les membres de la petite équipe de courageux pirates (et
assimilés) passaient un à un sur le pont du SCEPTIQUE, une porte claqua
doucement dans les cales du sombre navire fantôme.