Chapitre 40, par Zinzingue - Où on assiste à un cours d'histoire
- Tout ce que vous voyez-là est le résultat de la guerre des îles Alkaïr...
Les derniers mots de Mady résonnèrent dans les oreilles de Ludolf,
toujours allongé par terre, qui se « réveilla » instantanément.
- La guerre des îles Alkaïr ? C'est le livre que Glendal m'a donné à lire !
- Vraiment ? Qui est ce Glendal ?
- Notre cartographe, répondit Dralan, mais je ne vois pas ce qu'il y a
de si particulier avec ce banal fait historique ; tout le monde connaît
cette histoire de guerre de religion entre les adorateurs de la déesse
créatrice et les chrétiens. Et cela s'est passé il y a des siècles, je
ne vois pas en quoi nous sommes concernés...
- Vous pensez la connaître, mais vous n'en connaissez rien, siffla la grand-mère.
- Comment ça ? Cette guerre a été remportée par les chrétiens qui...
- Avaient corrompu un puissant Spirite afin de remporter la victoire, acheva Ludolf.
- Un quoi ? S'exclama tout le monde, excepté Mady, qui regardait le jeune homme avec de grands yeux écarquillés.
- Comment... sais-tu... ?
- Le livre de Glendal, répondit le jeune homme. A vrai dire, il m'a
surpris, j'avais déjà lu d'autres bouquins au sujet de cette guerre à
la bibliothèque de Westphalis. Mais c'est bien la première fois que je
lis cette version des faits...
- J'aimerai rencontrer ce Glendal, coupa Mady.
- Eh bien, il suffit de descendre sur l'Arcadia, déclara Dralan.
- Très bien, allons-y ! A vrai dire, je n'en espérais pas moins puisque
je suis venue pour demander ton aide à toi et ton équipage...
- Vraiment ? Notre aide pour faire quoi ?
- Je vous expliquerai en temps et en heure...
Quelques minutes plus tard, après que le capitaine ait rassuré tout le
monde sur le fait qu'ils étaient hors de danger avec sa grand-mère, qui
était tout ce qu'il y a de plus vivante, il rassembla tout l'équipage
sur le pont et appela Glendal.
- Glendal, commença Dralan, ma grand-mère ici présente voulais vous rencontrer, mais j'ignore pourq...
- Que connaissez-vous de la guerre des îles Alkaïr, coupa Mady.
- Que... Les îles Alkaïr ? C'était une vieille guerre de religion qui...
- Stop ! Cessez de mentir ! Vous avez donné à ce jeune homme un livre
qui en dit bien plus que ça ! Cracha Mady en désignant Ludolf.
Glendal semblait soudain très mal à l'aise. Il lança un regard noir à Ludolf et lui murmura :
- Tu as encore des choses à apprendre, mon petit...
- Alors ? J'attends...
- Bien, de toute façon, cela devait bien tomber un jour, alors pourquoi
pas aujourd'hui ? Voici donc le récit de la véritable guerre des îles
Alkaïr :
« La guerre des îles Alkaïr est le dénouement d'une très longue
opposition entre deux populations différentes. Lorsque tout cela a
commencé, nous avions encore la terre ferme sous nos pieds. Les
Spirites, habitants d'un monde appelé Esperia, possédaient certains
pouvoirs magiques, qu'ils attribuaient à un don d'une déesse créatrice,
et qui avaient surtout attisé la jalousie des Alkaïriens, les habitants
d'un autre monde appelé Alkaïr. Au terme d'une dernière guerre
intergalactique, remportée par les Spirites, Alkaïr fut détruite et une
planète fut créée pour accueillir les Alkaïriens : la Terre. Ce n'est
que beaucoup plus tard qu'une grande catastrophe intergalactique toucha
la Terre ainsi qu'Esperia et les réduisit en morceaux, entre lesquels
nous voguons aujourd'hui. Les fragments d'Alkaïr entrèrent également en
orbite avec ces fragments et formèrent l'archipel des îles Alkaïr,
siège de la nouvelle guerre qui éclata entre les deux clans. En effet,
la destruction de leur planète avait réveillé la vieille rancune des
Alkaïriens envers les Spirites. Et qui plus est, durant la longue
période de paix qui a précédé cette guerre, certains Spirites avaient
développé des pouvoirs qui étaient jugés malsains et dangereux,
auxquels s'opposaient les Alkaïriens. Ce qui ne les a pas empêchés de
corrompre un de ces mages noirs afin d'éradiquer à jamais le peuple des
Spirites, sans distinction, à l'aide d'une pierre magique. Bien
évidemment, les Alkaïriens ne tinrent pas leurs promesses envers ce
mage et le supprimèrent dans un moment de surprise, gardant sa
précieuse pierre magique. Ainsi s'est achevée cette guerre qui a vu
l'avènement des Alkaïriens comme peuple unique, qui, afin de ne pas
salir sa réputation au fil des générations, s'est gardé de dévoiler la
vérité à leur descendance sur cette guerre et dont seule une version
non-officielle a été retenue dans les livres d'histoire, la version que
vous connaissez tous aujourd'hui... »
- Tout cela est très intéressant, intervint Dralan, mais pourquoi connaissez-vous la vraie version de l'histoire, vous ?
- C'est là qu'intervient la suite de mon récit :
« Pour ne pas perdre la vérité en cas de mauvaise surprise, les
Alkaïriens ont précieusement gardé leur secret au sein d'une seule
lignée familiale. Ils craignaient en effet que certains Spirites aient
pu survivre et refonder une lignée de magiciens, et il fallait dans ce
cas se tenir prêt à les supprimer à n'importe quelle époque. Or il se
trouve que leurs soupçons étaient fondés, car un couple et une femme
enceinte avaient réussi à se cacher pendant la guerre et à échapper à
la mort. Ces deux lignées de Spirites ont évolué dans le plus grand des
secrets, en se transmettant l'histoire des Spirites et de cette guerre
des îles Alkaïr. Or il se trouve que je suis le dernier représentant
d'une de ces lignées... »
A ces mots, Mady devint hystérique et se jeta sur le cartographe, enfonçant ses pouces profondément dans sa gorge...
- Et moi il se trouve que je fais partie de la lignée des Alkaïriens
qui s'est transmis le secret, révéla-t-elle, pleine de rage, je dois
alors te tuer, maudit !
- Mady, non ! Cria Dralan en retenant son aïeule.
C'était insuffisant. Elle était déchaînée, et bien décidée à achever
Glendal sur-le-champ. Il fallut que Dralan ait recours à trois hommes
supplémentaires, en la personne de David, Dewon et Boumie (qui en plus
en valait bien deux à lui tout seul), pour immobiliser la vieille femme.
- Elle est en fo'me pour son age, commenta la vigie.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire, Glendal ? Demanda Dralan au cartographe, sans tenir compte de la remarque de Boumie...
Glendal passa furtivement sa main sur son cou endolori et marqué par
les traces des ongles de Mady. Il reprit son souffle et expliqua :
- Il semblerait que votre grand-mère, et par conséquent, vous-même
également, soient destinés à m'éliminer, ce dont je ne suis évidemment
pas disposé. J'aurais pu voir venir le coup, la tempête autour du
Sceptique est un effet de la pierre magique du mage noir. La lignée des
Alkaïriens détenteurs du secret et dont vous êtes le dernier descendant
l'avait gardée et transmise de génération en génération pour les aider
dans leur quête. La tempête et l'effet vaisseau-fantôme est un de leurs
subterfuges habituels pour surprendre leurs adversaires. Ils se servent
d'ailleurs aussi parfois de la pierre pour leur confort personnel...
- Comme chauffer un bateau sans brûler de bois, commenta Dewon.
Cette réflexion fut suivie par un court silence, qui fut très vite
brisé par les vociférations de Mady, qui ne voyait pas les choses
avancer à son goût...
- C'est l'un d'eux, pesta-t-elle, il est dangereux, et toi Dralan, honte à ton sang, tu le protèges !
- Ce... C'est mon ami, et je n'ai jamais été mis dans le secret, je ne comprends pas...
- C'est pour ça que je suis venue, nigaud ! Depuis quelques temps,
certains phénomènes étranges ont été repérés, c'était la manifestation
des pouvoirs diaboliques d'un de ces Spirites ! Je suis venue pour te
transmettre le secret et te demander ton aide pour le traquer, et il
était dans ton bateau !
- Helard, souffla Glendal, ces phénomènes étranges nous ont sauvé
maintes fois la vie ! Souvenez-vous, la bulle d'air dans les Terres
sombres, la dissipation du brouillard lors de l'attaque du père de Ryan
!
- C'était vous ? C'était vos pouvoirs ?
- Mais bien sûr, la magie n'est pas que mauvaise, je ne suis pas un de ces mages noirs !
- Mady, je dois avouer qu'il nous a sauvé la mise plusieurs fois !
- Lui est peut-être réellement bon, lança-t-elle, mais si la lignée
continue, il se passera la même chose qu'à l'ancien temps : des
Spirites vont se tourner vers la magie noire et créer le chaos ! Plus
personne ne sera en sécurité, ils vous tueront tous, par vengeance,
jusqu'au dernier !
Sur le pont régnait une confusion palpable. « Elle délire »
entendait-on par-ci, alors qu'ailleurs, d'autres semblaient très
inquiets.
- Funrir, reprit Dralan, il y a une chose que je ne comprends pas : pourquoi avoir révélé ce secret à Ludolf ?
- C'est une question judicieuse et il est légitime que j'y réponde, même si ça peut le mettre en danger : ...
« C'était il y a peu de temps avant notre départ de Kel-Agatel. J'ai
appris qu'il y a de cela six ans, des phénomènes étranges s'étaient
manifestés dans la région de l'île de Cagloff, et qu'un couple avait
été arrêté. Il s'agissait sans aucun doute d'un couple de Spirites, et
même le dernier existant, car la lignée gardienne du secret des
Alkaïriens a réussi, mine de rien, à exterminer un bon nombre de
descendants Spirites au cours des âges, grâce à la pierre magique du
mage noire, étant à chaque fois alertés par des manifestations étranges
qui étaient l'expression du pouvoir des Spirites. J'ai d'ailleurs en ma
possession la généalogie des deux lignées de Spirites restantes, sans
le nom des individus concernés, par mesure de sécurité. Et je savais
que le dernier couple qui restait en plus de moi-même avait un enfant,
qui n'a pas été arrêté. J'ai donc profité de notre voyage pour tenter
de retrouver cet enfant. Lorsque nous avons ramassé Vincenzo sur
Cagloff, j'ai bien cru qu'il s'agissait de lui. C'est pourquoi je suis
allé l'interroger pour savoir s'il lui était arrivé des choses étranges
(2). Or j'avais pour projet d'emmener l'apprenti chez moi, à Traënbald,
pour vérifier deux ou trois choses et l'initier. Mais malheureusement,
ce n'était pas du tout sur notre chemin, et je doutais que vous vouliez
bien faire un détour par Traënbald. C'est pour ça que j'ai fais croire
qu'on était perdu (1), le temps que je prenne une décision, car je
n'étais pas encore sûr que Vincenzo était celui que je cherchais. Et
après ma discussion avec lui, je me suis persuadé que c'était bel et
bien lui, à tel point que je nous ai fait changer de cap (2) vers
Traënbald en faisant croire que j'avais retrouvé notre position et
qu'on reprenait notre cap initial. Plus tard, j'ai fait croire à tout
l'équipage que nous arrivions vers l'île de Frendäl (3) pour que
personne ne se doute qu'on avait changé de cap, alors que c'était une
toute autre île. D'ailleurs, Druard, qui travaillait pour Victoria et
ses hommes, leur avait mentionné Frendäl (3) et c'est comme ça qu'ils
avaient monté leur mise en scène d'impératrice de Frendäl : ils
pensaient que je me croyais réellement sur cette île et que je n'y
aurai vu que du feu ! Mais comme je savais très bien qu'on était
ailleurs, cela m'a permis de les démasquer (4). Suite à leur attaque,
Victoria avait révélé au capitaine Helard que nous ne nous trouvions
pas à Frendäl (5). Je me suis dit que ce n'était peut-être plus trop la
peine de jouer et après coup, j'ai repris notre cap d'origine. Si on
apprenait que je m'étais à nouveau « trompé » de cap, j'aurais sans
doute perdu mon poste de cartographe, j'ai donc décidé de jouer la
prudence. Et qui plus est, je me suis mis à douter sérieusement que
Vincenzo soit celui que je recherchais, ce n'était donc plus la peine
de passer par Traënbald. Et ceci m'a été confirmé lorsque nous sommes
tombés sur Westphalis et que j'ai rencontré Ludolf (6). Il était tombé
sur cette île six ans auparavant. Ca correspondait à l'époque où le
couple de Spirite avait été exécuté. Et surtout, lorsque nous sommes
ensuite retournés dans les Terres Sombres, souvenez-vous, je me suis
cogné suite à une secousse et j'ai perdu connaissance (6). Lorsque je
me suis réveillé, une bulle protectrice nous enveloppait à nouveau. Et
cette fois, je n'y étais pour rien ! Cela m'a confirmé que Ludolf était
bien celui que je cherchais. Il ne le savait pas lui-même, mais son
pouvoir protecteur s'était déclenché par pur instinct de survie.
Depuis, je cherchais un moyen de lui révéler la vérité, et j'ai
commencé par ce livre de la guerre des îles Alkaïr afin d'introduire
mes révélations qui viennent d'ailleurs de tomber plus tôt que prévu et
pas aux personnes espérées... »
- Mais, intervint Ludolf, mais alors, ça veut dire que je suis un
magicien ? Et que ce sont mes parents qui m'ont abandonnés sur
Westphalis, pour me protéger de ces Alkaïriens ?
- Tout à fait, acheva Glendal, ils devaient savoir que tu ne pourrais
pas partir de Westphalis et ont du t'y envoyer avant de mourir pour te
protéger des Alkaïriens. Désolé pour toi, je sais que tu espérais les
revoir un jour...
Une larme perla sur la pommette de Ludolf, puis s'envola brusquement lorsqu'il sursauta sous un nouveau hurlement de Mady :
- TUEZ-LES ! Ce sont les deux derniers, ensuite, le travail est terminé !
Mais aucun membre de l'équipage ne réagit. A vrai dire, ils étaient en
majorité d'avantage choqués par le projet de Mady et plutôt emprunts à
défendre leur cartographe et le jeune mousse. Certains préparaient
d'ailleurs une arme improvisée qui pourrait servir en cas de
débordement. Edele tenait fermement sa poêle, mais hésitait encore à
frapper une vieille femme de quatre-vingt treize ans, et qui plus est,
la grand-mère du capitaine. Abby, qui avait un peu moins de scrupules,
caressait sa mygale dans sa poche et n'hésiterait pas à la lancer sur
Mady s'il le fallait. Dewon planifiait dans sa tête des plans où il
utilisait son micro-canon de poche pour effrayer la vieille femme
plutôt que de la tuer, on ne sait jamais comment le capitaine réagirait
sinon ! Quant à Boumie, il savait qu'il n'avait qu'à prendre la vieille
femme par le col pour l'empêcher de nuire, il n'était donc pas plus
angoissé que ça. Par contre, David, encore retourné par les récentes
révélations au sujet de sa famille, se trouvait, tout comme le
capitaine, pris dans un étau. Et ce dernier, bouleversé, le
transmettait visiblement à Sawin qui se mordillait les doigts
d'angoisse.
- Glendal, je ne sais pas quoi dire, je ne sais pas quoi faire,
bredouilla-t-il, gêné, on ne pourra pas la retenir éternellement...
- C'est ton destin, Dralan, continuait Mady, depuis toujours, tu es le dernier de notre lignée, tu dois les supprimer !
- Je ne vois qu'une solution, déclara solennellement Glendal, qui ne
prêtait pas attention aux psalmodies de la vieille femme, retenez-là
juste encore quelques instants...
A ces mots, il empoigna le bras de Ludolf et le tira vers le pont
inférieur. Il ne restait que trois Marsouins, les quatre autres ayant
été pris par Sumire pour son départ avec Vincenzo, Victoria et Aziz. Il
n'en resterai bientôt plus qu'un, et Glendal espéra de tout son cœur
que ça ne lèsera pas trop l'équipage...
(1) Voir chapitre 12
(2) Voir chapitre 15
(3) Voir chapitre 16
(4) Voir chapitre 18
(5) Voir chapitre 19
(6) Voir chapitre 26