Chapitre 14, par Trianna : Où on apprend le pourquoi du comment de la cuisine d'Edele
- Edele !
J'entendais cette voix et j'avais ouvert les yeux avec lourdeur.
J'ignorais ce qu'il m'était arrivé mais je ne m'étais jamais sentie
aussi lourde mais la douleur avait disparu. J'avais juste eu le temps
d'apercevoir que j'étais dans la cabine du capitaine et que Sawin était
là à mon chevet. Elle avait fait un sourire en me voyant.
- Ne bougez pas. Je vais appeler le capitaine.
Elle se dirigea vers la porte et en l'ouvrant, elle poussa un petit cri de surprise.
- Mais qu'est ce que vous faites ici Sumire ?
- Heu, mais rien du tout ! Je me promenais et je...je voulais voir si notre cuisinière allait bien.
Je voyais le visage de Sumire se couvrir de sueur et elle n'était pas
du tout à son aise. Mais elle tentait de garder son calme apparent avec
difficulté. Mais Sawin ne fit pas trop attention.
- Elle vient de reprendre connaissance et j'allais justement prévenir le capitaine.
- Je peux lui parler ?
- Bien-sûr mais faites attention à ne pas trop la brusquer car elle a encore un peu de fièvre même si ça a diminué.
- Mais oui, vous pouvez compter sur moi !
Sawin partit en laissant la porte libre d'accès à Sumire qui pénétra
dans la pièce en fermant rapidement la porte. Elle s'assit à mon chevet
et me regarda avec une étrange expression mêlant curiosité, soulagement
et contentement.
- Alors Edèle, ça va ?
Cependant, j'avais l'esprit un peu embrouillé car j'avais fait un
horrible cauchemar : de mystérieuses silhouettes menaçantes me
poursuivaient, j'entendais des cris d'horreur, il y avait du
poison...Le poison.
- Non, pas ça ! criai-je sans réfléchir.
- Comment ça, "non, pas ça" ? demanda Sumire avec les yeux écarquillés.
- Qu...quoi ? Qu'est ce qui se passe ?
- C'est ce qu'on aimerait bien savoir, dit une voix masculine venant du dos de Sumire.
Le capitaine entra avec Sawin et intima l'ordre à Sumire de sortir.
- Mais non, protesta cette dernière. Edele allait dire un truc intéressant, je veux tout entendre !
Je sentais que j'avais fait une bourde en laissant transparaître ma
pensée avec ce "non, pas ça !" et un poids énorme pesait sur mon coeur.
Mais il ne faut pas qu'ils sachent. Pas la vérité.
- Sortez ! criai-je en essayant de faire diversion. Il y a trop de monde, j'étouffe ! Allez-vous-en !
- C'est vrai alors ! s'exclama Sumire. Tu nous caches quelque chose ! J'ai entendu à la port..
- Quoi ? coupa vivement le capitaine. Tu nous espionnais ?
Sous la colère, le capitaine oublia la politesse du "vous" mais
personne n'y fit attention. Sumire pâlit de terreur et se mit à gratter
nerveusement les plis de ses vêtements.
- Mais capitaine, je...commença-t-elle avec une petite voix, paralysée de peur.
- Ne discutez pas ! Sortez ! Et que je ne vous voie plus dans les parages !
La sentence du capitaine frappa comme la foudre sur la tête de Sumire
qui prit rapidement les jambes à son cou. Sawin ferma ensuite la porte
et se dirigea vers moi avec le capitaine mais je ne voulais pas les
voir.
- Non ! criai-je. Je vous ai dit de partir alors partez !
- Pas avant de vous entendre, mademoiselle, dit le capitaine avec une voix plus neutre.
- Vous parliez dans votre sommeil et je vous ai entendu, déclara le médecin. Vous disiez que..
- Non, vous n'avez rien entendu ! protestai-je. J'avais fait simplement un cauchemar.
- Justement, reprit Sawin. Mais vous disiez dans ce cauchemar : « Non,
pas ça... Ils ne doivent pas savoir ce que j'ai fait, jamais... ». De
quoi s'agit-il ? Qui sont les "ils" ?
Je tremblais à entendre ces mots sans pouvoir me contrôler. D'horribles
vagues de souvenirs commencèrent à remonter à la surface sans que je
puisse mettre une barrière de censure à ma conscience. Des images
terribles se mirent à défiler devant mes yeux et c'était insupportable.
Je ne savais plus quoi faire, mon esprit était bouleversé. C'est trop
tard, on m'a entendu dire ce qu'il ne fallait pas entendre. J'étais
coincée, tiraillée par la peur. Les ombres menaçantes recommençaient à
me hanter.
- Non, laissez-moi ! criai-je en sanglotant. Je ne veux plus faire ça, plus jamais !
Sawin m'avait prise dans ses bras pour me consoler car je n'en pouvais
plus. J'avais craqué. Je pleurais de toutes les larmes de mon corps.
- Calmez-vous Edele, ça va aller. Vous êtes en sécurité ici, dit doucement Sawin.
- Non ! Je suis en sécurité nulle part. S'ils me trouvent...Je suis
sure que si je suis clouée ici, c'est à cause d'eux. Je ne tombe jamais
malade comme ça subitemment.
- Ah, je comprends mieux alors l'origine de la flèche empoisonnée qui
vous a été destiné, dit Sawin. Vous avez eu beaucoup de chance de vous
en sortir.
- La flèche ? demandai-je. Mon dieu ! Ils m'ont retrouvé alors !
- Qui ? demanda le capitaine resté muet durant tout ce temps. De qui parlez-vous ?
- Expliquez-nous, m'encouragea Sawin. Tout ce que vous direz restera dans cette pièce.
Son regard était chaleureux mais j'étais troublée. Mon esprit hésitait
mais à contrecoeur, je décidai de parler. J'enlevai ma couverture pour
me mettre à l'aise, le dos calé devant un coussin moelleux. Cependant,
je n'étais pas rassurée du tout : j'avais térriblement peur de la
réaction de Sawin et du capitaine mais aussi de toute l'équipage. Et
l'éventualité que mes anciens bourreaux ont retrouvé ma trace...C'est
le début de la fin, de MA fin.
- Je savais qu'un jour tout ça va remonter à la surface, à mon grand
désespoir...commençai-je tristement. Tous ces crimes, tous ces morts...
Le capitaine allait réagir mais Sawin lui fit signe de ne pas m'interrompre et elle m'intima du regard à poursuivre.
- Ca n'aurait pas dû commencer. A cause de moi, pleins de gens sont morts.
Je tremblais en disant tout ça mais il fallait que je tienne le coup.
Je n'osais même pas regarder les visages de mes deux interlocuteurs. Et
je me suis tût un moment.
- Mais ce n'est pas de ma faute ! m'exclamai-je brutalement en redressant la tête. On m'a demandé de tuer ces gens sinon...
- ...Sinon ? demanda timidement Sawin.
- Je ne serai plus là pour vous parler en ce moment même, répondis-je en baissant la voix.
- Qu'avez-vous fait ? demanda le capitaine, légèrement anxieux.
- ...Morts par empoisonnement, continuai-je d'une voix de plus en plus
entrecoupée par les sanglots. Le poison tue dans le secret...
- Dans le secret ? demanda Sawin les yeux ronds d'incompréhension.
- Mon talent de cuisine. J'étais si brillante à l'époque de mon
adolescence : je faisais des plats magnifiques savourés par les plus
grandes personnalités de ce monde. Mais la mort emportait chacun
d'entre eux car ces plats étaient empoisonnés. On me demandait de
déguiser le poison dans la nourriture car j'étais malheureusement
douée, trop douée pour savoir rendre le poison indétectable dans le
plat. On me donnait le liquide de la mort et je faisais tout le sale
boulot. Comme je me déteste ! Mon talent de cuisine est une malédiction
!
Un silence de mort régnait dans la pièce sans que quiconque n'ose
troubler le mutisme. Mais je ne voulais pas qu'on me pose des
questions. Je voulais que tout ça se finisse de n'importe quelle
manière même si ma vie et ma dignité devaient y passer.
- Un jour, j'ai réussi à tromper la vigilance des bourreaux et je me
suis échappée, repris-je immédiatement. Et je suis venue ici dans
l'espoir d'oublier tout ce passé car j'ai un mal effroyable chaque fois
que j'y pense. Et dire que je croyais pouvoir construire une nouvelle
vie ici...Mais c'est raté : l'image du poison du meurtre de Druand m'a
rappellé trop d'évènements douloureux. J'ai tué, je ne suis maintenant
plus qu'une tueuse, une empoisonneuse, une fugitive. La cuisinière
Edele n'existe plus...
Je baissais les yeux en attendant ma mort que je savais imminente non
seulement parce que tout le monde allait me mépriser et je n'avais plus
rien à attendre de la vie encore moins de la réaction de Sawin et du
capitaine. Enfin, je m'étais sentie plus libre et même la fièvre avait
disparu.