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La Cité des Cieux, monde des îles et des bateaux volants...
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3 août 2007

Chapitre 18, par Sumire : Où l'on jalouse, on espionne, et on désenvoûte

Chroniques de l'Arcadia par Sumire

Mon cher journal, un fléau s'est abattu sur l'Arcadia. Je ne sais pas encore combien de temps nous pourrons tenir avec à notre bord l'un des pire monstres de la création : Victoria...

Tout a commencé lorsque notre cher Capitaine a accepté d'embarquer l'impératrice Victoria de Fenräe et sa garde composée de cinq hommes au regard perfide et tout de noir vêtus. Leur bateau avait été endommagé par la déflagration qui avait détruit leur royaume, et il n'était à présent plus qu'une épave échouée dans un banc de Nuages de Nacre. Dans sa grande bonté, le Capitaine a accepté de les emmener jusqu'au royaume voisin, Grenford, où ils pourraient trouver refuge.
Mais depuis que Sa Majesté a posé un pied sur le navire, celui-ci est comme ensorcelé.
« Je sens que je vais me plaire ici, a-t-elle dit au Capitaine avec un sourire carnassier.
- C'est ça... comme un brochet dans un banc de sardines, ai-je rétorqué en donnant un coup de coude à Ryan. »
Mais Ryan ne m'a pas répondu : il fixait Victoria d'un regard vide. Je crains qu'il n'ait succombé au charme de cette sorcière.

Mais je n'ai réalisé l'ampleur du désastre qu'à l'heure du déjeuner. Lorsque j'arrivais dans la salle, je vis tout de suite que quelque chose clochait. Victoria – toujours elle – s'était octroyé sans gêne la meilleure place de la tablée, une place qu'il m'avait fallu conquérir et que je considérais comme un véritable privilège. A sa droite, Ryan l'écoutait parler de son ancien pays avec fascination, et ses yeux perdaient régulièrement de l'altitude en direction de son décolleté. A sa gauche, Boumie nous donnait la preuve qu'un homme adulte peut baver davantage qu'un Dogue allemand. En face d'elle, David s'était rasé de près et portait une combinaison exempte de tâches de cambouis. A côté de lui, Dewon semblait avoir trouvé mieux qu'un trident pour dompter sa tignasse, lissée à l'aide d'une sorte de gel que son dragon trouvait fort peu à son goût.
Abby aidait Edèle à faire le service. Un peu en retrait, Sawin discutait avec le Capitaine. Me voyant arriver, celui-ci m'interpella gentiment :
« Sumire, j'espère que vous ne voyez aucun inconvénient à laisser votre place à notre invitée, me dit-il.
- Maintenant que vous le dîtes... au contraire, ça me dérange beaucoup ! lançais-je pour ma défense.
- Rien n'est simple, avec vous, soupira t-il. Je ne veux pas d'esclandre. Prenez ça comme un ordre. »
Au bout de la table, Glendal et Vincenzo étaient en grande discussion. A regret, je me dirigeais vers eux en lançant au passage un regard hostile à l'intruse. Derrière elle, droit comme un I, se tenait son garde du corps personnel, un homme maigre aux longs cheveux noirs, avec un long visage qui le faisait ressembler à un corbeau. Il me suivit des yeux et son regard me glaça le sang.
« Mais puisque je te dis que j'ai déjà vu cet homme à bord du bateau, couinait Vincenzo, livide.
- En as-tu parlé au capitaine ? murmura Glendal.
- Non, il ne me croirait pas, gémit le mousse. Et du reste, il faisait nuit... »
Mon arrivée interrompit leur conversation.
« Puis-je me joindre vous ? demandais-je avec entrain.
- Bien sûr, mon p'tit, me répondit affectueusement Glendal. »
Tout en disant cela, il rangea discrètement le carnet sur lequel il avait noté la révélation de Vincenzo. Je lançais innocement :
« De quoi parliez-vous ?
- Et bien... commença Vincenzo, mal à l'aise.
- En fait, ça m'est égal, décidais-je soudainement. Tous les royaumes peuvent bien s'écrouler les uns après les autres, nous avons affaire à une situation beaucoup plus grave. Messire Glendal, il faut que vous m'aidiez. Comment se débarrasse t-on d'un fléau ? »
Le cartographe haussa les sourcils avec étonnement, puis il sourit, rajusta ses lunettes, et entreprit de me raconter comment notre monde avait survécu à bien des catastrophes, et était devenu ce qu'il était. Mais cela me semblait bien peu en comparaison de ce qui nous menaçait avec cette femme : l'Apocalypse.
Ma décision était prise : je devais à tout prix l'empêcher de nuire.
« Vincenzo, j'ai besoin de ton aide, lançais-je. »

Chroniques de l'Arcadia par Vincenzo Vengano de la Dulcinea alias Apollon
Nommé (co-rédacteur en Chef du Journal de Bord) remplaçant temporaire de Miss Sumire

Cher journal, je savais qu'un jour viendrait où mon talent inné pour l'écriture serait découvert. Je ne vais cependant pas pouvoir m'étendre davantage sur ma carrière artistique, sous peine de devoir subir les foudres de la rédactrice en Chef.
Glendal et moi avons discuté longuement avec Miss Sumire. D'après elle, mademoiselle Victoria serait l'incarnation du mal en personne, un être plus vil qu'un requin, plus cruel qu'un rapace, plus sournois qu'un serpent, plus venimeux qu'une tarentule – monstre de l'espace, d'après ses propres dires.
Sans vouloir mettre en avant mon don extraordinaire de psychanalyste, je pense Miss Sumire est atteinte d'un mal communément appelé jalousie maladive. Mais je me suis bien gardé de le lui faire remarquer, tant les femmes sont dangereuses lorsqu'elles laissent leurs passions se déchaîner. Aussi lui ai-je proposé de me charger du Journal de Bord, afin qu'elle puisse à son aise « déjouer les plans de la machiavélique Victoria ».

A bord de l'Arcadia, rien d'anormal à signaler : David promène sa clef anglaise sur le pont, Dewon astique le canon situé sous la fenêtre de mademoiselle Victoria, Boumie fait sans cesse tomber sa longue-vue et doit redescendre la chercher, Ryan manque à son poste.
« Ras-le-bol de ces bons à rien, ronchonne Abby en courant d'un bout à l'autre du navire pour tendre les voiles et régler la vitesse des ailes. »

Cela fait presque deux heures que Miss Sumire a disparu, et je commence à m'inquiéter. Je me lance à sa recherche, et je finis par la retrouver, perdue au milieu des caisses du chargement.
« Je les ai perdus de vue, gémit t-elle en me voyant arriver.
- Qui ça ?
- Ryan et la sorcière. C'est affreux, elle est peut-être e train de le torturer ! me dit-elle, au bord des larmes.
- Je n'en suis pas si sûr. J'ai entendu dire qu'elle se faisait préparer un bain par ce cher Ryan... »
La nouvelle sembla la frapper de plein fouet, puis elle se leva d'un bond, plus rouge que ses cheveux, et se précipita en courant vers la cabine du Capitaine, où mademoiselle Victoria avait élu domicile. Je ne parvins pas à la retenir – et du reste j'étais plutôt heureux de poursuivre mon étude de la jalousie féminine, puisque je disposais d'un spécimen incroyablement doué.
La suite se passa très vite. Miss Sumire fit irruption dans la cabine du capitaine, se jeta sur Ryan, le gifla et... l'embrassa passionnément. Oui, vous avez bien lu, je n'en reviens pas moi-même. Ryan ne sembla pas comprendre non plus ce qui arrivait, il tomba à la renverse en lâchant son seau d'eau bouillante, le visage lacéré par un petit écureuil volant. Mademoiselle Victoria, plongée dans sa baignoire, poussa un hurlement à réveiller les morts. Cinq hommes firent irruption simultanément dans la cabine, et saisirent Miss Sumire et Ryan, qu'ils ligotèrent et jetèrent à fond de cale.
Je les rejoignis presque aussitôt, honteusement accusé de voyeurisme.

Chroniques de l'Arcadia par Sumire, le Retour

« Je veux sortir d'ici, c'est une erreur judiciaire ! hurlais-je à pleins poumons. »
Comme en réponse à mon appel, deux des hommes de main de la sorcière entrèrent dans la cale et saisirent nos liens, nous remettant sans ménagement sur nos pieds. Vincenzo faillit défaillir à la vue de l'homme-corbeau.
Nous nous dirigeâmes vers le pont, toujours ligotés, et je songeais avec appréhension à ce que j'allais bien pouvoir dire au Capitaine, et comment m'excuser auprès de Ryan pour l'avoir si brutalement libéré du maléfice de la sorcière. Mais à bien y réfléchir, il n'y avait pas d'autre moyen.
Je fus tirée de mes pensées en arrivant sur le pont. Glendal, David et Dewon gisaient sur le sol, ligotés. Leurs vêtements déchirés et leurs nombreuses blessures sanguinolentes témoignant de la rage avec laquelle ils s'étaient défendus. Partout, des traces de lutte. Boumie était bâillonné et attaché à son mât, dos-à-dos avec Abby. Un peu plus loin, Sawin et Edele avaient subit le même sort – le crâne de l'homme qui les gardait portait les traces de la casserole vengeresse de la cuisinière.
Ryan poussa un juron tandis que j'essayais de comprendre à quoi rimait cette mise en scène. Soudain, Victoria fit son entrée, et tout devint clair.
« Hé, mais c'est mes fringues que tu portes ! M'écriais-je. Espèce de sale...
- ...voleuse ? acheva t-elle avec un petit rire sarcastique. Venant de toi, je trouve ça comique ! »
Je n'en croyais pas mes oreilles : comment le savait t-elle ? Personne ici ne connaissait mon passé, ni la Guilde des Voleurs dans laquelle j'avais grandit. Du reste, je n'en avais plus que quelques souvenirs épars. Mon propre passé m'échappait, et voilà que cette mégère en savait plus que moi.
« Ce n'est pas ce qui était convenu, sanglota une petite voix dans un coin. »
Je regardai par-dessus mon épaule : Druard était appuyé contre le bastingage, la tête entre les mains.
« Je vous ai dit que je trouverai un autre bateau...
- Celui-ci convient parfaitement pour transporter la pierre noire en lieu sûr, rétorqua Victoria.
- Mais vous m'aviez promis de ne faire aucun mal à l'équipage !
- Navrée, mon cher espion, nos plans ont changé, lança Victoria avec un grand sourire moqueur. Ce vieux croulant de cartographe a découvert notre identité, nous l'avons trouvé en train de fouiller dans nos affaires à la recherche de preuves. »
Glendal poussa un grognement, enrageant de s'être fait capturer.
« Nous devons mettre la pierre en lieu sûr. Pour le reste, vous savez ce qu'il vous reste à faire pour que votre équipage reste en vie, pas vrai Dralan ? susurra Victoria en caressant la joue du Capitaine. »
Cette fois ce fut au tour de Sawin de se débattre violement contre ses liens, ses yeux brûlant de haine – et qu'on vienne me dire qu'il n'y a rien entre ces deux là, après...
L'homme-corbeau nous jeta à terre et nous donna l'ordre de nous tenir tranquilles, pendant que le Capitaine manoeuvrait la barre, l'air résigné.
« Nous n'irons pas loin sans marins ni voiles, me glissa Ryan à l'oreille pour me rassurer. A moins que... »
Mais il n'eût pas le temps d'achever sa phrase : l'Arcadia avait commencé à s'incliner, la Proue en avant, en direction des nuages noirs. Une terreur sans nom s'empara de mon corps tandis que notre bateau, tel un vaisseau à la dérive, se rapprochait inexorablement des Terres Sombres.

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