Chapitre 22, 3ème partie, par Maranwe : Où on est bien obligés de se déguiser
Peu de temps après que le groupe se soit divisé en deux autres fort
hétérogènes, la petite compagnie chargée de retrouver et ramener les
membres manquants de l'équipage se dirigeait vers le siège du Potentat,
facilement reconnaissable au sein de la ville par la tour qui se
détachait nettement des autres bâtiments de pierre.
-Sawin, on ne va quand même pas se présenter devant la porte principale
du palais en disant « Bonjour, c'est nous ! », j'espère ? dit Abby au
bout d'un petit moment.
-On va essayer de trouver un ou deux gardes isolés, répondit Sawin.
-Et ap'ès, un petit inte''ogatoi'e ? demanda Boumie en se frottant les mains. J'ado'e les inte''ogatoi'es !
-Tout juste, répondit Sawin avec un petit sourire.
-Chic, chic, chic ! murmura Boumie dont le moral semblait avoir remonté
de façon aussi spectaculaire que celui d'un pêcheur qui tient sa
première prise au bout de trois heures d'attente.
-Là ! s'exclama Ryan en désignant une patrouille.
Etre milicien dans la cité de Gémalio était symbole d'une chance inouïe
que n'accordait la Providence qu'à de rares privilégiés. La ville était
prospère, le travail peu important, bien payé, et comme dans toutes les
villes prospères, il était également honorifique. Quelle fierté émanait
de ces hommes lorsque des marchands étrangers les admiraient en train
de défiler dans leurs armures étincelantes sous le soleil de Gémalio !
Mais obtenir le titre tant convoité de garde de la cité était par
conséquent plutôt attribué aux fils de bonne famille qu'à de véritables
guerriers... et fort sensibles à la flatterie.
-Quelle allure, tu ne trouves pas ? fit Sawin lorsque le dernier garde
de la file passa devant elle, à l'attention d'Abby qui se tenait à côté
d'elle.
-Et quelle prestance ! ajouta cette dernière alors que l'avant-dernier
garde, surpris par l'arrêt brutal de son comparse, ne s'immobilise à
son tour.
-On ne fait que notre devoir, mesdames, assura l'un d'eux en prenant
soin de se tenir plus droit et de montrer son sourire le plus charmeur.
-Vous devez sûrement être de grands guerriers, continua Sawin en
s'efforçant de prendre un air niais et en retirant ses lunettes.
Pendant qu'Abby s'assurait que le reste de la patrouille avait oublié
deux de ses membres, Sawin s'efforça de continuer la conversation en
reculant de temps en temps d'un pas. Jusqu'à ce que Boumie et Ryan,
cachés derrière le mur, ne se jettent sur les deux pauvres gardes et ne
les assoment en essayant de les immobiliser.
-V'aiment pas solides, ces types-là, fit Boumie avec un air presque
déçu. Aide-moi, 'yan, on va les emmener dans un end'oit plus
t'anquille...
Une douzaine de paires de claques plus tard...
-J'espère que vous êtes disposés à nous écouter, maintenant, dit Sawin aux deux gardes à moitié assomés.
-Mais puisqu'on vous dit qu'on n'a jamais entendu parler du capitaine Helard ! s'exclama l'un d'eux.
-C'est pas beau de menti' ! répondit Boumie avec un grand sourire, levant la main pour frapper.
-Naaaaaaaaan ! s'écria le garde affolé. Je sais que deux hommes ont été
arrêtés tout à l'heure pour piraterie, mais je vous jure que je ne sais
rien d'autre !
-Deux hommes ? s'étonna Abby. Le capitaine et Glendal ? Mais... Et Edele ?
-Vous êtes sûr que c'est tout ? demanda Ryan. Il n'y avait pas une jeune fille ?
-Non, non ! répondit l'homme en secouant la tête comme un forcené. C'est tout, c'est tout, promis !
-Je vois, fit Sawin d'un air songeur. Bien. Boumie...
-A tes o'd'es ! s'exclama la vigie.
Il prit la tête de chacun des deux gardes et les frappa l'une contre
l'autre, selon ses propres termes : « comme on casse des œufs ».
-T'y es pas allé un peu fort ? fit Ryan d'un air apitoyé, en avisant
l'énorme bosse qu'arborait chacun des deux miliciens inconscients.
-'Sont pas solides, ces gailla'ds, c'est moi qui vous le dit ! fit Boumie avec une mine boudeuse.
-Aidez-moi à enlever leur armure, déclara Sawin au bout d'un moment.
Boumie, Ryan, vous vous ferez passer pour des miliciens escortant des
prisonniers, nous arriverons plus facilement à retrouver les autres
comme ça...
-Tu 'igoles ! s'exclama la vigie en désignant l'un des hommes. Ces
ga's-là sont taillés à coups de se'pe dans un cu'e-dents ! Je peux pas
'ent'er pas dans leu' a'mu'e même en faisant 'égime !
-Sawin, tu es plus grande que moi, dit Abby. Avec un casque sur la tête, tu te feras passer facilement pour un homme...
-Bon, je te confie mon sac, alors, fit Sawin, visiblement un peu déçue d'être comparée à un homme, en tendant son sac à Boumie.
Puis après quelques secondes où elle fixa la vigie d'un air inquisiteur, elle tendit finalement son précieux sac à Abby.
-Non, finalement, je te le passe, dit-elle à Abby avant de commencer à enlever l'armure des deux gardes.
-C'est plus sage, en effet, fit Ryan en se joignant à elle.
-Bien plus sage, approuva Abby d'un hochement de tête.
-J'vous déteste ! s'exclama la vigie avant de s'asseoir dans un coin pour bouder.
Alors que Ryan et Sawin s'affairaient et s'équipaient comme ils
pouvaient dans un autre coin de la même ruelle, Abby enfila le sac de
Sawin en bandoulière et, pour tromper son ennui, commença à faire
quelques pas. Quand soudain, la jeune femme s'immobilisa, blanche comme
un linge.
-Abby ? demanda la voix inquiète de Sawin, un peu en arrière.