Chapitre 30, par Maranwë : Où on se bagarre dans des marsouins
- Alors, Dralan, que penses-tu de ces petites merveilles ? demanda le
père de David d'un air joyeux, tout fier d'exhiber l'un de ses joujoux
que l'équipage appelait jusque là, d'un air « définitivement ignorant
compte tenu de la technologie qu'ils renferment » (l'auteur décline
toute responsabilité quant aux propos tenus par messieurs Sea, Ozean et
Eimann), un module.
- Moi, ce qui m'inté'esse, c'est de savoi' comment on peut dégommer un
navi'e de gue''e avec cette ba'que volante, lança Boumie d'une voix
étouffée sous son casque. D'autant qu'ils sont plus t'ès loin,
maintenant. Et puis je c'ève de chaud, moi !
- Monsieur Longvue aura son rafraîchissement quand j'aurais terminé,
répondit Adrian Sea sans perdre de son calme. Ceci s'appelle un
Marsouin. Module Actif et Rétroactif à Système Orientable pour un
Usager et Incorporant de la Nanotechnologie.
Quelques minutes d'explications sur les différentes commandes
applicables suffirent pour qu'un grand silence tombe sur l'Arcadia,
comprenant celui, satisfait, des concepteurs du fameux Marsouin volant,
et l'autre, incrédule, des membres de l'équipage.
Soudain, le silence fut troublé par un sifflement, suivi d'un bruit
semblable à un sucre plongeant dans un café viennois. Puis un autre.
Ryan s'écria :
- Ils nous attaquent !
- ...Pour tirer, c'est le bouton rouge sur les côtés, finit Adrian.
- C'est pa'ti !!!
Chacun des pilotes sauta dans son Marsouin, saisit les commandes et
referma la vitre avant de se positionner sur la rampe de lancement. Les
sept engins s'élancèrent bientôt, blancs comme la mer de nuages.
Glendal et Ludolf, déjà dans la cabine du capitaine, avaient déroulé
sur le bureau une carte du ciel et avaient représenté l'Arcadia et les
bateaux ennemis par de petits grains de haricot peints (faute de mieux,
pas d'effets spéciaux.). Sumire déboula bientôt dans la cabine, tenant
à la main un casque à micro intégré que venait de lui remettre Marc
Ozean, l'oncle de David. Le reste de la radio, un engin du genre
volumineux, suivait derrière, porté par un Vincenzo reconnaissable à
ses vêtements roses et bleus à dentelle. Et qui grognait parce qu'on
l'avait dérangé en pleine création, et que la radio était, selon toute
apparence, plutôt lourde.
Sumire s'assit à côté du bureau, mit le casque sur ses oreilles et posa
une petite feuille de papier sur ses genoux, tandis que son « esclave »
essayait de poser sans lâcher la lourde radio. Il s'avéra plus tard que
la petite feuille de papier était un mémo des noms de code donnés à
l'équipage.
- Ici Sumire-chan depuis l'Arcadia, j'écoute !
- Ici Sawin. J'essaye de faire le tour discrètement pour aborder le vaisseau principal.
- Non, toi, c'est Doc !
- Si tu veux ! Bon, l'ennemi n'a pas encore attaqué.
- Combien sont-ils ?
- Gandalf demande combien il y a de bateaux.
- Ici Abby. Il y a trois vaisseaux. Un bateau de guerre au centre et
deux navires de transport plus petits. Pas d'armement visible.
- Abbywan Kenobi dit qu'ils sont trois et qu'ils ne sont pas armés, Gandalf.
- Ici Boumie !
- Banania !
- C'pas v'ai, cette nana ! Des types a'més viennent de so'ti' su' le pont du vaisseau de gauche !
- Ici Dralan.
-Albator au rapport, Gandalf !
- Les o'd'es, cap'taine ?
- Flanquez-leur la frousse... Et s'ils commencent à tirer, on fait comme d'habitude.
- Yipeeee !
- Il y en au'a bien assez pou' nous deux, Dewon !
Dewon devait avoir pris les ordres du capitaine tellement bien au
sérieux qu'il donna l'occasion à la bande de mercenaires nouvellement
engagés dans le combat de voir toute leur vie défiler devant leurs
yeux. En effet, il avait volontairement customisé son propre Marsouin
avec un canon de sa collection personnelle, et s'amusait à pourchasser
les fuyards au ras du plancher de leur propre bateau, aidé par Boumie
qui fit bientôt de même avec le vaisseau de droite (les mercenaires
avaient, dans un élan de gratitude, gentiment voulu aider leurs
confrères). David et le capitaine les couvraient chacun d'un côté en
rivalisant d'acrobaties pour éviter les tirs, tandis qu'au-dessous des
vaisseaux, trois Marsouins sillonaient silencieusement la mer de nuages
en cherchant un endroit où aborder le navire de guerre.
- Ici David ! Le vaisseau principal vient de sortir une tourelle de tir de type gondawan S-X-33 rotative !
- Vingt-quatre !
- Euh... El mecano, pouvez-vous répéter ?
-Vingt-cinq !
- Passez en-dessous de la zone de tir ! Je répète, passez en-dessous de la zone de tir !
- T'ente !
-Vingt-huit !
- Qui a parlé ?
- Ben, el mecano !
- C'était pas Ryan ?
- Non, c'était pas moi.
- Non, c'était pas Benjos, c'était Benjax !
- T'ente-t'ois !
- De quoi ?
- Dewon, Boumie, arrêtez votre concours, compris ?
- Si on peut plus 'igoler...
- Oh, misère...
La tourelle en question émit un vrombissement sonore assez puissant
pour faire grincer des dents tout le voisinage, et commença à tirer de
tous les côtés des projectiles dont on put seulement dire qu'ils
avaient à peu près la taille des boulets modèle standard de Dewon.
Il s'ensuivit une sorte de ballet orchestré par le canon de la tourelle
de tir, enchanté par les acrobaties de Dralan et David, rythmé par les
accélérations de Dewon et Boumie, répété par les mercenaires, coloré
par les déflagrations et mis en musique par un déluge de tirs de toutes
sortes et de toutes provenance.
Vincenzo, les yeux plein d'étoiles, était littéralement sous le charme
de cette scène observée dans le confort et la sécurité de l'Arcadia, et
se serait volontiers assis pour l'admirer si Sumire n'exigeât de lui
qu'il aille lui chercher un rafraîchissement parce que faire la
standardiste, ça donne soif.
En-dessous, leurs appareils presqu'invisibles car de la même couleur
que les nuages, Abby, Ryan et Sawin se rapprochaient prudemment du
navire central.
- Ici Ryan ! Sawin, Abby et moi nous dirigeons vers le vaisseau principal.
- Gandalf et Ludo disent de ne pas tirer, chéri.
- Ici Sawin ! Il y a quelque chose de bizarre !
- Comment ça ?
- Une barque de sauvetage est en train de se détacher du vaisseau central ! Je vais voir !
- Attends, Doc !
- C'est Abby qui est partie, pas moi.
- Il y a quelqu'un dans la barque qui nous fait signe, capitaine ! On fait quoi ?
- Allez voir ! Moi, je suis occupé !
- Ici Abby ! Edele est dans la barque ! Je répète, Edele est dans la barque, et elle est seule !
- QUOI ??? (collectif)
- Abbywan Kenobi, Gandalf dit qu'il faut l'amarrer et la remorquer
jusqu'à l'Arcadia. Et el mecano papa dit que le petit bouton vert sur
ta gauche sert à sortir une corde avec un grappin. Ah, merci Winnie, je
commençais à me déshydrater !
- Ici Dralan ! Sawin, Ryan, escortez Abby et Edele jusqu'à la zone sûre, puis revenez nous donner un coup de main !
- Oui capitaine !
Edele, seule dans sa barque de sauvetage, essayait tant bien que mal
d'accrocher le grappin aux plaques de métal rouillé tandis que Sawin et
Ryan servaient de bouclier contre les tirs de quelques mercenaires qui
s'étaient aperçus de la scène.
Soudain, l'un des bateaux explosa sous un ultime tir de Dewon, qui en
guise de réponse émit un ricanement machiavélique à la radio de Sumire.
Boumie, vexé de n'avoir pas coulé son bateau le premier, redoubla
d'effort pour finalement envoyer une rafale à l'endroit où il n'aurait
pas fallu recevoir de rafale. Un gros « boum » s'ensuivit, et Boumie
entama une danse de la victoire à la gloire des Marsouins.
- Dewon, le bateau, ça comptait quand même que pou' un !
- Egalité, Banania !
- Si tu m'appelles enco'e comme ça, j'utilise tes p'op'es canons pou' t'aplati' le museau !
- Ici Sawin. Edele est sur l'Arcadia, nous revenons en renfort.
- Ici Glendal ! C'est le moment, mettez-vous en formation ! Dés que
vous serez prêts, baissez le levier sur votre droite pour activer les
pierres noires !
- Eeeeeh, rendez-moi ma radio ! Winnie, aide-moi !
Les sept Marsouins s'exécutèrent presqu'aussitôt, alors que sur le pont
du vaisseau de guerre, Victoria, Nathan et Aziz étaient sortis pour
constater l'ampleur des dégâts. Un cri perçant résonna dans les nuages.
Nathan disparut alors à l'intérieur du navire, après avoir vainement
tenté d'emmener Victoria avec lui, mais cette dernière resta figée sur
le pont, le visage déformé par la fureur. Aziz, ne sachant trop que
faire, resta finalement au côté de sa patronne, en bon serviteur qu'il
devait être, quand soudain un petit vaisseau rapide s'élança depuis
l'intérieur du bateau de guerre, avant de s'enfuir vers le lointain et
de disparaître derrière un gros cumulus. David, impuissant, hurla de
rage en perdant de vue son frère aîné, et baissa le levier de toutes
ses forces quand le capitaine cria dans son micro :
- FEU !!!
Quelques nuages parurent déformés pendant un instant par la vague
d'ondes magnétiques qui déferla depuis les Marsouins, puis un énorme
craquement indiqua que les calculs de Glendal étaient parfaitement
justes. Le vaisseau commença à vibrer, puis chancela avant de descendre
de plus en plus vite vers les Terres Sombres, alors que ses occupants,
ballotés dans tous les sens, tombaient dans la Mer de Nuages les uns
après les autres. Ne restaient bientôt plus que Victoria et Aziz,
accrochés au bastingage, qui luttaient de toutes leurs forces pour ne
pas lâcher.
- Pourquoi tu y retournes, Sawin ? Reviens !
- S'ils meurent, on ne saura jamais qui est derrière tout ça !
- Je vais l'aider. Les autres, je vous ordonne de retourner à l'Arcadia, compris ?
- Capitaine, non !
Les cinq Marsouins restants filèrent bientôt vers l'Arcadia à
contre-cœur, tandis que le capitaine et son second lancèrent deux
grappins vers Victoria et Aziz. Ils eurent à peine le temps de poser le
pied sur les grappins et de s'accrocher aux cordes avant que le
vaisseau ne disparaisse, totalement englouti sous une nappe laiteuse.
Victoria jeta un dernier regard en bas, ne sachant si elle devait
remercier les dieux d'être en vie ou lâcher tout simplement la corde,
quand le Marsouin rentra dans l'Arcadia, suivi par celui qui emmenait
son lieutenant.
Le comité d'accueil ne se fit pas prier pour les menotter en silence et
les escorter vers une cabine isolée, mais, dés que David referma
l'énorme verrou qui maintenait la porte, l'équipage laissa éclater sa
joie et Boumie prit Edele sur ses épaules en chantant victoire (et les
retrouvailles avec ses bons petits plats).
- Et maintenant, Dralan ? demanda Adian avec un sourire, décidément très fier de ses Marsouins.
- Bah, je pense qu'on a bien droit à une petite fête, déclara le
capitaine avec un sourire. Ensuite... Nous ferons route vers le royaume
de Janrenn, et le roi Rhottgar...