Chapitre 31, par Trianna : Où on festoie le retour d'Edele
Jamais l'Arcadia n'avait connu une telle effervescence : des cris de
joie et d'exclamation rythmaient le semblant de conversation qu'il y
avait dans la salle à manger. De l'extérieur, on entendait des bribes
comme « Ouais ! On les a eu ces fichus... », « Mais non, c'est moi
qui...le plus ! », « Hé ! Encore du rh... », « non ! » etc. Le rhum
coulait à flot et les esprits commençaient à s'échauffer. La majorité
de l'équipage festoyait pour fêter la victoire de l'abordage du
vaisseau de Nathan et de Victoria, la capture de cette dernière avec
son fidèle serviteur Aziz et enfin, les retrouvailles émouvantes avec
la cuisinière du navire marqués en partie par des exclamations de joie
et les chatouillements des narines face au retour triomphal des bons
petits plats qui avaient tellement manqué à l'équipage.
Cependant, même si tout le monde s'amusait, une personne ne semblait
pas vouloir rejoindre tout le groupe. Edele n'avait pas le cœur à la
fête malgré sa joie à avoir enfin retrouvé les siens. En effet, une
chose taraudait son esprit, quelque chose qu'elle n'avait jamais réussi
à l'admettre...
- Edele ! Tu ne rejoins pas les autres ?
Surprise, la cuisinière sursauta et se retourna vivement. Ses pensées
se brouillèrent. La silhouette imposante du capitaine se détachait de
la pénombre du soir. Et zut, alors qu'Edele avait cru pouvoir être
tranquille en se réfugiant à l'arrière du pont à l'extérieur.
- Oh, c'est vous capitaine ? répondit Edele en essayant de paraître naturelle et enjouée. Mais
j'allais les rejoindre vous savez.
Elle esquissa un sourire discret qui se voulait être rassurant. Mais
ses pensées étaient ailleurs. Cependant, elle s'efforça de retourner à
l'intérieur mais après avoir laissé le capitaine, elle se dirigea non
pas vers la salle à manger mais vers une cabine plus isolée du navire.
Son déplacement passa inaperçu grâce aux effets somnifères de l'alcool
qui faisaient dire à tout l'équipage un même langage universellement
compréhensible : « zzzzz ». Bref, Morphée a dû accueillir un peu
brusquement tous ces étranges voyageurs du sommeil dans ses bras. Mais
il ne s'en plaignait pas.
Le lendemain, tous les visages s'éveillèrent avec plus ou moins de difficultés et un cri horrifié retentit.
- Qu'est ce qui se passe ? On nous attaque ? s'exclama Boumie en se relevant brusquement comme s'il avait été piqué aux fesses.
- Ah, sale pervers !
Un autre cri, de douleur cette fois, déchira la salle à manger.
- Pardon Sumire ! Je suis désolé ! Ce n'est pas de ma faute si ma main
se trouvait là où il ne fallait pas, répondit rapidement le « pervers ».
La dénommée Sumire, furibonde, se leva pour corriger l'impudent quand
celui-ci cria comme une jeune fille pour prendre rapidement ses jambes
à son cou sous les regards moqueurs ou amusés - ça dépendait des gens
car ils avaient tous une réaction différente - des autres membres de
l'équipage. Le « pervers », qui était en fait Vincenzo, fixa avec
désespoir sa main fine et blanche qui portait maintenant de jolies
rayures en forme de croissant de lune. Il baissa la tête et commença à
gémir comme un pauvre petit garçon à qui on l'aurait mis au coin.
- Ca ne va pas la tête de crier comme ça ? cria Abby, mécontente de subir un réveil aussi...sonore et brutal.
Avant que quiconque ne puisse lui répliquer, un grincement de porte fit
sursauter tout le monde et toutes les têtes se retournèrent et un
silence magistral fit alors place. Les rayons du soleil matinal
entrèrent dans la pièce comme pour apporter l'illumination divine et
une silhouette sombre et élancée se montra à la vue de tous.
- Oh, c'est un ange ? demanda fasciné, Vincenzo qui s'était
miraculeusement rapproché malgré le « danger » appelé Sumire qui était
toujours là.
Une forme ronde avec une manche semblait pendre d'un coté de la
silhouette. Un bruit de gorge se fit entendre. On se demande qui ça
pouvait bien être...
- Salut tout le monde. Heu, qu'est-ce qu...La salle à manger...
Un spectacle guère réjouissant s'offrit à la vue d'Edele. Des restes du
repas de la veille jonchaient sur la grande table et des gouttes d'un
liquide de couleur bordeaux décoraient le sol. Les matelots étaient
soit couchés par terre soit affalés sur les chaises. Une odeur d'alcool
mélangée à d'autres odeurs pas très accueillantes s'élevait dans
l'atmosphère. La cuisinière soupira.
- Vous allez devoir ranger tout ça, dit sobrement Edele.
- QUOI !!!, s'écrièrent toutes les voix en même temps.
L'ombre de l'arme fatale d'Edele se glissa sur le sol telle une bête
menaçante et sournoise en direction des invités qui se mirent aussitôt
à acquiescer et à se mettre au travail malgré quelques petites
réticences ici et là. Cependant, la promesse d'un bon déjeuner donna un
coup de fouet au moral de l'équipage et on pouvait même entendre
fredonner quelques petits airs de piraterie.
L'après-midi était le moment tant attendu de la suite des réjouissances
car maintenant que Victoria et Aziz ont été capturés, il fallait
naviguer vers le royaume de Janrenn pour voir le roi Rhottgar. Et
accessoirement retrouver Nathan aussi, même si cette idée déplaisait à
la cuisinière.
- Vous avez pû interroger les captifs ? demanda Dralan en s'adressant à tous ceux qui étaient proches autour de lui.
- Ouais mais ils sont pas supe' costauds, répondit Boumie en claquant les os des doigts.
Le capitaine soupira en regardant celui-ci et tourna son regard ailleurs.
- Mais ils sont toujou's entie's capitaine, répliqua instantanément Boumie.
- Et qu'est-ce que vous en avez tiré ? demanda le chef du navire en
tapotant sur la pointe des pieds, signe de son impatience naissante.
- Cela ! s'exclama Glendal, un grand rouleau à la main.
Il déplia une carte du monde en désignant sous les yeux surpris de
l'équipage, le royaume de Janrenn, là où justement le navire était
censé aller.