Chapitre 32, par Seth - Où on chante l'Oléus, l'estomac et les dents de la mère (en ré mineur).
Beau comme
l'ondine, glissant tel un esprit sur les vapeurs miroitantes des
nuages, l'Oléus Miropodine était en quête de nourriture. Toutes ses
écailles vibraient d'impatience à la perspective de déguster une
juteuse crevette d'écume ou un délicat anchois miroir. Le soleil à son
zénith promettait une belle journée, et l'oléus était heureux. Depuis
trois jours il était père d'une bonne centaine de petits alevins.
Couvée modeste dont la taille réduite s'expliquait par le petit creux
qu'avait eut sa compagne juste après l'éclosion. Lui-même avait ensuite
dévorée cette dernière, découvrant avec grand plaisir la finesse
gustative de l'Oléus Miropodine femelle farcie aux alevins.
Pour son espèce, cet Oléus était une star. Par trois fois il avait été
péché par des humains et par trois fois il avait réussi leur échapper.
Même s'il ne mesurait que 20 centimètres, sa capacité à bondir et
rebondir lui avait permis de s'enfuir au nez et à la barbe des bipèdes.
Depuis lors il était persuadé que même les algues se prosternaient en
le voyant passer. Il n'était pas né l'être qui le mangerait. Et ce ne
serait surtout pas une de ces grandes bestioles sans nageoires.
Plongé dans ses pensées, l'Oléus ne pu voir arriver la frêle
embarcation qui s'approchait sournoisement de lui. Et quand une paire
de mâchoire se referma sur lui, il ne put qu'entendre « Voilà ce qui
a''ive quand on est t'op su' de soit ga'çon ».
***
- Mais où est donc passé ce Boumie !
- Aux dernières nouvelles, Sawin, il vagabondait au niveau des cales,
répondit aussitôt Sumire, avide de raconter tous les potins du navire
et traînant derrière elle un Vicenzo dont les dents raclant le sol
laissaient une longue marque sur le pont du bateau. Un peu comme vous
le faites quand le capitaine n'est pas auprès de v...
- Merci Sumire, coupa Sawin visiblement agacée, et puis lâchez ce
pauvre Vicenzo avant que je vous fasse enfermer pour « dégradation du
matériel de piraterie à l'aide d'un outil incongru ».
- Je suis sur que vous venez d'inventer ce chef d'inculpation ! se
plaignit Sumire en se dressant sur la pointe des pieds pour tenter
d'être plus impressionnante. Mais vous ne me ferez pas taire ! Avec moi
camar...
Malheureusement une turbulence soudaine fit tanguer violemment le
navire et la dite Soumire se retrouva aussitôt envoyée dans les bras
d'un Glendal Funrir estomaqué et surtout... étouffé et renversé.
- Pourquoi cherches-tu Boumie, dit doucement Edelé, un grand cabas dans une main et sa sempiternelle casserole dans l'autre.
- J'ai besoin de sa force pour qu'il ouvre... quelque chose.
A ces mots, Sumire pourtant apparemment assommée, se redressa d'un bond
(directement dans le menton de Glendal qui essayait de la relever).
- Hai... je pense qu'en tant que membre du même équipage, s'enflamma
Sumire en se frottant la tête, nous devrions avoir le droit de savoir
de quoi il s'agit. Nous sommes tous dans le même bateau et si cette
chose qui doit être ouverte contient quelque chose de dangereux,
probablement une grosse bête poilue et pleine de pattes (à ces mots,
Vicenzo s'enfouis dans ses dentelles comme une tortue dans sa carapace)
ou au contraire un trésor, il me semble juste qu'il soit partagé entre
tous, même si vous voulez le voler pour payer votre nuit de noces
avec...
BAM
AIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !
Un étrange projectile vert émeraude munis de nombreux piquants acérés
venait de s'encastrer avec violence dans l'oreille gauche de Sumire qui
hurlait comme une baleine asthmatique. Sa casserole à bout de bras et
un autre projectile prêt à être éjecté, Edele (qui n'aimait pas qu'on
embête Sawin) regardait froidement Sumire tenter d'arracher les
piquants qui s'étaient incrustés sur toute la moitié de son visage tout
en tentant de sauter sur la cuisinière... avant de renoncer, remarquant
que le sac de cette dernière contenait des dizaines d'objets du même
genre.
- Notre repas de ce soir, sourit cruellement Edele. Une fois les
piquants retirés et qu'on les a farcis, ces plantes sont délicieuses.
Puis sans rien ajouter elle se retira dignement (du moins c'eut été
fort digne si un poisson volant ne vint pas lui atterrir en plein
visage).
- Chère Sumire, lança Sawin, mi amusée, mi furieuse, cette mystérieuses
chose que je dois ouvrir si tu veux savoir, c'est ma trousse à manucure
qui est coincée depuis deux jours.
- Ah ! Montrez ! S'enthousiasma Vicenzo sautant littéralement hors de
ses dentelles (qui composaient l'intégralité de son habillement du
jour), euh... Oups...
- Je peux la faire exploser si ça peut rendre service, lança Devon en passant par là, un baril de poudre sous le bras.
Sawin n'eut pas le temps de décliner la proposition. Un cris effrayant glaça tout l'équipage.
« Pa' le Saint Ba'il ! C'est une catast'ophe, une calamité, nous sommes
pe'dus. C'est la fin de tout. J'ai faim. On en 'échape'a pas. Le monde
ne 'ésiste'a pas à ça. Bonjou' capitaine. Je ne veux pas mou'i'e si
jeune. 'elevez-vous voyons capitaine. Pou'quoi, mais POU'QUOI !!! »
Déboulant sur le pont, la vigie hystérique s'affala devant Sawin
(suivit de près par un capitaine qui avait eus la mauvaise idée de
croiser Boumie et sa voix mélodieuse au détour d'un couloir et qui
semblait ne plus rien entendre du tout). Le grand gaillard d'habitude
si combatif sanglotait comme un bébé, se mouchant d'une main et
mangeant un des mystérieux légumes piquant d'Edele de l'autre (ni
pelée, ni confite, il mâchouillait la pauvre plante, épines comprises).
- Elle a''ive, elle a''ive ! sanglotait-il en se roulant sur le dos.
« Mais qui ? » demandèrent une bonne moitié de l'équipage (désormais
réunis au complet sur le pont supérieur, ameuté par les vociférations
de la vigie).
- Elle a''ive, je le sens dans mes t'ipes. Ma mè'e a''ive !
***
- C'est le troisième qui casse capitaine !
- Quoi ? Que dites-vous Abby ? Parlez plus fort !
- C'EST LE TROISIEME QUI CASSE CAPITAINE ! ELLE EST TROP LOURDE.
- Non je n'y suis jamais allé et de toute façon je déteste les épices
Abby. Mais je crois que vous pouvez abandonner cette méthode, c'est le
troisième treuille qui casse.
- C'EST EXACTEMENT CE QUE JE DISAIS CAPITAINE !
- Mais vous m'ennuyez à la fin avec vos épices. Je vous dis que je n'aime pas ça.
- MAIS...
- Je vous interdis de me parler de la sorte ! Ce n'est pas de ma faute si ma tante était unijambiste...
A bord de l'Arcadia, la situation était confuse. Boumie était tombé
dans une sorte de sommeil paradoxal provoquant des curieux gémissements
mais dont il semblait impossible de le soustraire, le capitaine était
toujours sourd et une femme prétendant être la mère de Boumie attendait
dans une barque d'être remontée sur le pont. Malheureusement la dite
femme devait être au moins aussi haute que Boumie et au moins deux fois
plus large. Quand ce n'était pas le câble qui lâchait, c'était les
armatures.
Finalement la femme à bout de patience prit son élan (coulant de ce
fait son embarcation) et sauta par-dessus le parapet... au dessus du
pont supérieur... au dessus du grand mat... et retomba avec la douceur
d'une météorite sur le pont... et le traversa pour atterrir directement
dans la chambre de Boumie. Boumie qui s'envola littéralement,
apparemment bien réveillé. Et atterrie lui-même sur Glendal qui de ce
fait disparu à travers le plancher directement dans la cuisine et plus
précisément dans une grande marmite bouillonnante. Suite au « Mon
ragout ! » rugissant d'Edele, Vicenzo sauta dans les bras de Sumire qui
marcha directement sur le pied de Devon qui lâcha le sac de bombes
rebondissantes qu'il tenait dans les mains. Ces dernières ricochèrent
sur tout le bateau et tombèrent dans le ciel... enfin plus exactement
sur une baleine carnivore qui se retrouva instantanément pulvérisée en
morceaux d'importance variable. Le plus gros d'entre eux atterri
directement dans les bras de la mère de Boumie, qui était remontée sur
le pont et goba la chaire tendre en trois coups de mâchoire.
Après avoir fini de se lécher les doigts, madame Boumie se présenta comme il se doit.
- Bonjou' à tous. Je suis A'abella Longvue. Et je suis la mè'e de ce
fils indigne de Boumie. Depuis qu'il est pa'ti, pas une let'e, pas un
poisson voyageu'. 'ien ! Alo' me suis dit que je devais veni' voi' pa'
moi-même au milieu de quelle bande de fénéants et aut'es déchets de la
natu'e il s'était integ'é. C'est vous le 'esponsable à qui j'aime'ais
di'e deux mots ? demande-t-elle soupçonneuse au capitaine qui
s'approchait d'elle.
Ce dernier n'ayant pas retrouvé son ouie, essaya de répondre le plus logiquement à ce qu'il pensait que la femme avait dit :
- C'est un très grand honneur pour nous chère madame que de recevoir
une invité de marque telle que vous et vos délicieux mots de salutation
si délicatement choisis ne font que révéler quelle finesse et quelle
âme se cachent derrière cette force et cette bravoure !
- Voilà qu'il me fait le coup du phoque qui voulait plai'e au calama',
répondit la femme tout en détournant la tête pour que le capitaine ne
puisse pas voir le sourire gêné qui se dessinait sur ses lèvres.
Puis elle se retourna vers son fils et lui lança d'un ton cinglant «
J'imagine petit ing'at que tu n'as pas dit à tes amis, fo't cha'mants
d'ailleu's (elle marqua une pose pour faire un clin d'œil au
capitaine), qui était ta mè'e. »
A la mine livide (eh oui c'est possible) de son fils, la femme soupira et poursuivi :
« Je suis donc A'abella Longvue, leade' et chanteuse du t'ès céleb'e g'oupe de musique « les Baleines 'êvent Aussi ».